N'appelez plus "fous" les citoyens souffrant de troubles mentaux

  • 10-10-2017

N'appelez plus "fous" les citoyens souffrant de troubles mentaux

Le 20 septembre, Laurent Wauquiez, invité politique de Monsieur Bourdin sur BFM TV et RMC, expliquait ses projets de « lutte contre le terrorisme » et proposait la stratégie suivante : « Je demande, sur le même régime que pour les fous, qu’il puisse y avoir un internement préventif des individus radicalisés les plus dangereux ». Un peu plus tôt dans une des premières phrases de l’interview, usant de ce même qualificatif, Laurent Wauquiez résumait la situation géopolitique de la Corée du Nord de la façon suivante : « On a là-bas un fou qui potentiellement peut avoir l’arme nucléaire ». De façon troublante, c’est à peine si le naturel et la fluidité du discours font remarquer à tout un chacun l’irruption des « fous » dans le discours sécuritaire. Et c’est bien en cela que se situe la dangerosité du propos.

Dans la rhétorique propre de Laurent Wauquiez, le terme de « fou » semble désigner un individu dangereux pour le reste de la société qu’il convient d’enfermer préventivement. Dans cette perspective, l’usage répété de qualificatifs malheureux et d’assimilations irrecevables n’apparait pas isolé dans le discours politique. Ainsi en août, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, évoquait la possibilité que des « esprits faibles » puissent se tourner vers le terrorisme et la nécessité de collaborer avec les psychiatres pour repérer les individus dangereux. De l’amalgame entre troubles psychiques, terrorisme et dangerosité, certains comprendront l’aveu, une fois de plus, d’une certaine impuissance à agir sur les mécanismes de la radicalisation.

Nous, jeunes psychiatres, constatons avec effarement et inquiétude la méconnaissance de nos leaders politiques sur le sujet de la santé mentale, méconnaissance qui empêche de penser efficacement le rapport de la société à la santé mentale.

Et tenant compte du fait que ces maladies touchent plus de 20% de la population mondiale toutes pathologies confondues, ce type de propos vise plus de 15 millions de personnes en France, plus d’un milliard sur la planète... La réalité des patients est tout autre : espérance de vie diminuée, comorbidités somatiques multiples, taux de chômage plus élevé, autostigmatisation, etc. Les personnes souffrant de troubles mentaux ont de plus une plus grande probabilité d’être victimes de violence que la population générale.

Quotidiennement, les personnes concernées demandent, et ont un besoin urgent d’être rassurées sur le fait « qu’elles ne sont pas folles », qu’on puisse reconnaître leurs difficultés psychologiques et cognitives ainsi que la souffrance qu’elles génèrent. Nos responsables politiques, tout autant que la société, doivent permettre cette reconnaissance. Nous tenons à rappeler à monsieur Wauquiez qu’il n’existe heureusement pas aujourd’hui en France de « régime pour les fous ». Les personnes souffrant de troubles mentaux ont une citoyenneté pleine et entière. Aussi, il existe des modes « d’hospitalisation », et non « d’internement »,sans le consentement de la personne lorsque celui-ci n’est pas reconnu juridiquement valide. Il ne s’agit pas de disqualifier le discours du patient dans sa dimension existentielle, mais bien de reconnaître que des symptômes momentanés abolissent son discernement et sa capacité à consentir à des soins qui lui sont parfois nécessaires de façon immédiate.

Il ne s’agit pas là de juger des intentions politiques, mais d’enseigner les graves conséquences de l’usage du mot « fou » dans le discours politique sécuritaire : assimilation des personnes souffrant de troubles psychiques à des criminels, renforcement des représentations négatives, frein au rétablissement...

Permettre l’accès aux soins de santé mentale à chacun est un objectif de santé publique que chaque responsable politique devrait faire sien. Nombreuses sont les actions civiles ou scientifiques engagées par les associations d’usagers de la psychiatrie, de famille de patients, de professionnels, pour lutter contre la stigmatisation des troubles mentaux et des personnes qui en souffrent. Dans la perspective du plan d’action pour la santé mentale 2013-2020, nous espérons un accès renforcé aux soins et à l’information du grand public sur les pathologies psychiatriques. Nous souhaitons que la déstigmatisation soit le moteur et le cœur de ce travail. 

Signataires :
Marine Lardinois, Psychiatre, Présidente de l’AJPJA (Association des Jeunes Psychiatres et des Jeunes Addictologues)
Déborah Sebbane, Psychiatre, Vice-Présidente de l’AJPJA
Emanuel Loeb, Psychiatre, Trésorier de l’AJPJA
Astrid Chevance, Interne en Psychiatrie, Doctorante en santé publique, agrégée d’Histoire
Boris Chaumette, Psychiatre, Neurobiologiste, membre de l’AJPJA
 
Publié le 10 octobre 2017 dans Libération